Les Conventions de Genève - 160 ans d'histoire
Le 22 août 1864 marque l'adoption à Genève de la Convention pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne. Issu du constat bouleversant d'Henry Dunant, revenu du champ de bataille de Solferino, en 1859, ce traité sonne la naissance du droit international humanitaire (DIH).
Depuis lors, le DIH de 1864 n'a cessé d'évoluer pour défendre la dignité humaine en situation de conflits armés. L'historien du Comité international de la Croix-Rouge, Daniel Palmieri, nous éclaire sur le contexte et les étapes qui rythment l'histoire des Conventions de Genève de 1864 à 2005.
La réputation internationale de Genève date d’avant le XIXe siècle. Ville de Calvin, patrie de Rousseau, la cité s’est également faite une renommée mondiale grâce aux savants qu’elle abrite. Toutefois, avec la fondation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en février 1863, Genève se pare également d’un atout de politique internationale.
En effet, en août 1864, se tient une conférence diplomatique, organisée par la Suisse sur l’initiative du CICR, et à laquelle participent les représentants de 15 États européens, ainsi que des États-Unis. La discussion tourne autour de l’adoption d’une convention pour améliorer les conditions des soldats blessés dans les armées en campagne.
Le projet de texte, préparé par le CICR, propose de secourir tous les blessés militaires sans distinction de nationalité, de neutraliser – c’est-à-dire de rendre inviolable – les structures médicales et le personnel qui les sert, et d’utiliser pour identifier clairement les services de santé le signe distinctif d’une croix rouge sur fond blanc.
Le texte est adopté le 22 août 1864 et signé d’emblée par douze des puissances présentes à la conférence. La convention de 1864 devient ainsi le premier traité universel et pérenne de droit international humanitaire.
Avec cet événement, Genève acquiert aussi le statut de lieu « neutre » où la négociation diplomatique est possible. La salle où s’est déroulée la conférence de 1864, dans l’Hôtel de Ville, accueille 8 ans plus tard une nouvelle réunion diplomatique - l’arbitrage de l’Alabama en 1872 entre les États-Unis et le Royaume-Uni – qui lui léguera son nom actuel (Salle de l’Alabama).
En juillet 1906, une conférence de révision de la Convention se déroule à Genève, en présence de 35 États venant cette fois-ci du monde entier. La « Convention pour l’amélioration du sort des blessés et malades dans les armées de campagne » révisée comporte désormais 33 articles (contre 10 pour celle de 1864), dont de nouvelles provisions concernant l’inhumation ou l’incinération des morts, par exemple. Pour la première fois aussi, le rôle des Sociétés de secours civiles (dont celles de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge) est explicitement reconnu.
Une nouvelle conférence diplomatique est convoquée à Genève en juillet 1929. La manifestation a un double objectif : réviser la Convention de 1906 et élaborer une convention internationale relative à la protection des prisonniers de guerre. Quarante-sept gouvernements se réunissent au Bâtiment électoral, disparu en 1964 des suites d'un incendie et qui depuis a cédé sa place à l'Uni Dufour.
Sur la base de l’expérience acquise lors de la Première Guerre mondiale, il s’agit d’actualiser le texte protégeant des militaires blessés et malades, en tenant par exemple compte de l’évolution technologique. Ainsi, la Convention de 1929 contient un article élargissant la protection des structures médicales aux avions sanitaires.
Pour les prisonniers de guerre – qui ne sont couverts que par quelques articles contenus dans les Conventions de La Haye de 1899 et 1907 – il faut rédiger un tout nouveau traité, car le premier conflit mondial a démontré que ces deux Conventions étaient lacunaires. C’est pourquoi, dès 1921, le CICR a exprimé le vœu qu’une convention spéciale soit dédiée à cette catégorie de victimes de la guerre.
La « Convention relative au traitement des prisonniers de guerre » qui est adoptée le 27 juillet 1929 complète ainsi les dispositions des Conventions de La Haye. Ces plus importantes innovations ont trait à l’interdiction des représailles et des punitions collectives, aux modalités liées au travail des prisonniers de guerre et au fait que ceux-ci peuvent désigner des représentants pour discuter avec les autorités détentrices ou des envoyés des Puissances protectrices.
Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, la nécessité de réviser les Conventions existantes se repose avec acuité, tout comme la question d’ajouter au corpus de nouveaux textes.
Aussi, entre avril et août 1949, Genève accueille 63 délégations gouvernementales dans le cadre de nouvelles discussions diplomatiques. Elles se concentreront sur : la révision des deux Conventions de 1929, la révision d’un texte portant sur la guerre sur mer - adopté lors des Conférences de la Paix à La Haye (1899 et 1907) - en suivant les stipulations de la Convention de 1864, et enfin la création d’une nouvelle Convention protégeant les populations civiles en temps de guerre.
Les débats – qui portent sur des projets préparés à nouveau par le CICR – aboutissent à l’adoption, le 11 août 1949, de quatre traités dont la Conférence diplomatique décidera qu’ils porteraient officiellement le titre de « Conventions de Genève » (ce qui n'était pas le cas des Conventions de 1864, 1906 et 1929) ; cette décision a été prise en hommage à Genève, berceau de la Croix-Rouge et siège du CICR :
- Convention de Genève (I) pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne
- Convention de Genève (II) pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer
- Convention de Genève (III) relative au traitement des prisonniers de guerre
- Convention de Genève (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre
Les Conventions de Genève sont signées le 12 août 1949 par 18 États au Bâtiment électoral. Une seconde séance de signatures aura lieu le 8 décembre 1949.
Dès après l’adoption des Conventions de Genève, on s’est rendu compte qu’il faudrait bientôt réfléchir à des règles additionnelles protégeant les civils des effets des hostilités. Mais, même si le CICR se met rapidement à l’œuvre, l’environnement politique n’était guère propice à la convocation d’une nouvelle conférence diplomatique. Ce n’est qu’en 1973 que le CICR a l’opportunité de soumettre, après des consultations avec des experts gouvernementaux, deux projets de protocoles additionnels aux Conventions de Genève, portant sur la protection des victimes de conflits internationaux et non internationaux.
Le Conseil fédéral convoque alors une conférence diplomatique qui tient quatre sessions entre 1974 et 1977. Les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève sont adoptés le 8 juin 1977 au Centre international de conférences de Genève (CICG).
Une nouvelle Conférence diplomatique est convoquée en décembre 2005. Les États parties aux Conventions de Genève de 1949 ont adopté, le 8 décembre, un troisième Protocole additionnel auxdites Conventions. Cet instrument consacre un troisième emblème protecteur – le Cristal Rouge – qui jouit du même statut international que les emblèmes de la Croix Rouge et du Croissant Rouge.
Texte de Daniel Palmieri, Historien du CICR