L'interview | Samuel Emonet
Comment présenteriez-vous votre organisation en quelques mots ? En quoi consiste votre fonction? Quel est votre objectif? |
En mai 2022, j'ai été nommé directeur général de Justice Rapid Response, la seule organisation au monde qui met à disposition rapidement des experts spécialisés dans les enquêtes portant sur des crimes de guerre, des génocides, des crimes contre l'humanité ou des violations graves des droits humains. Justice Rapid Response est une organisation à but non lucratif ayant son siège à Genève et un petit bureau de liaison à New York.
C'est depuis Genève que notre équipe répond aux demandes d'expertise de la part d'organisations internationales, d'États et d’organisations de la société civile. Pour ce faire, nous avons créé un vivier de 700 experts soigneusement sélectionnés et approuvés, mobilisables rapidement dans des pays en guerre ou en situation d'après conflit.
Grâce au travail de ces experts, nous avons déjà eu un impact considérable. Pour citer deux exemples, en 2021 nous avons atteint plusieurs objectifs clés ont été atteints dans les efforts visant à traduire en justice des membres de l'État islamique (aussi connu sous le nom de Daech) en lien avec des atrocités commises contre la minorité Yézidie en Irak et en Syrie. Cinq d'entre eux ont été condamnés par les tribunaux allemands pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide. C'est grâce à l'expertise de Justice Rapid Response dans le domaine de la collecte de preuve, fournie à l'ONG irakienne Yazda, que des témoins clés et des victimes ont pu être identifiés.
Plus récemment, en juillet 2022, la Cour suprême de Gambie a condamné six membres de l'ex-Agence nationale du renseignement gambienne pour leur participation à l'assassinat de l'opposant Solo Sandeng, décédé dans sa cellule deux jours après son arrestation en 2016. A la demande du procureur général gambien, nous avons mis sur pied une équipe médico-légale qui a analysé les restes humains en lien avec ce cas. Les conclusions et les témoignages de ces experts ont joué un rôle crucial en fournissant les preuves nécessaires pour condamner les responsables..
|
Du fait de sa mission, Justice Rapid Response est appelé à collaborer avec de nombreuses organisations internationales ou locales, ainsi qu'avec les États représentés à Genève. L'exemple le plus parlant est notre partenariat avec ONU Femmes et le Haut-Commissariat aux droits de l'homme. Nous collaborons notamment dans le cadre d'enquêtes mandatées par le Conseil des droits de l'homme à Genève. Grâce à cette collaboration, Justice Rapid Response est en mesure de fournir des expertises pointues pour presque toutes les enquêtes mandatées par le Conseil dans le domaine de la violence sexuelle et sexiste et des violations contre les enfants. Nous contribuons à rendre plus visibles ces violations, qui sont encore largement sous-rapportées, et à inciter la communauté internationale à se saisir de cette problématique, pour le bien des victimes et des survivants.
Quelles sont les forces et les faiblesses de Genève en ce qui concerne le développement de votre activité? |
La proximité avec les parties prenantes du Conseil des droits de l'homme présentes à Genève, notamment les États, les organisations de l'ONU et les organisations de la société civile, est un facteur essentiel pour Justice Rapid Response. Ces organisations peuvent toutes potentiellement faire appel à notre expertise pour renforcer leur action et permettre aux victimes d’avoir accès à la justice.
Genève est aussi un important centre de compétences dans le domaine de la paix – avec notamment la Plateforme de Genève pour la consolidation de la paix (Geneva Peacebuilding Platform) – et du droit humanitaire international, grâce à l'Académie de droit international humanitaire et droits humains à Genève, l'Université de Genève et le Graduate Institute (IHEID). La ville accueille certaines parmi les meilleures organisations dans notre domaine d’action, comme TRIAL, Civitas Maxima, Legal Action Worldwide et Global Survivors' Fund, ce qui nous permet d'être en lien avec une grande diversité de spécialistes, d’identifier des synergies et de renforcer notre action et notre impact.
Il va sans dire que le coût de la vie à Genève en fait une ville chère pour une organisation à but non lucratif, mais ce prix vaut la peine d'être payé pour les raisons citées ci-dessus.
A quoi devrait ressembler la gouvernance mondiale dans 20 à 30 ans? |
Les grands défis actuels – la lutte contre la pandémie de Covid-19, le climat, la biodiversité, la crise énergétique, la protection des données à l’ère digitale ou encore le développement de l'intelligence artificielle – concernent tous les êtres humains, leurs droits fondamentaux, leur conception de la justice et, par conséquent, leur confiance dans nos institutions démocratiques. Ces défis ne peuvent être abordés de manière isolée, ils appellent une réponse mondiale. Ils vont, pour certains, contribuer à aggraver les tensions internationales et les conflits dus à la lutte pour le contrôle de ressources telles que l'eau, la terre, la nourriture et l'énergie. Dans ce contexte, le rôle des institutions de la gouvernance mondiale dans la prévention de conflits et leurs efforts pour promouvoir les droits humains et le droit humanitaire sont essentiels pour éviter un désastre.
En particulier, la gouvernance mondiale continuera d’occuper une place centrale dans le domaine de la justice et du principe de de la redevabilité. Dans un monde où les tensions vont sans doute s'intensifier, la Cour pénale internationale et le Conseil des droits de l'homme devront constamment démontrer leur professionnalisme, leur impartialité et leur capacité à comprendre et répondre au besoin de justice de toutes les victimes. C'est là que Justice Rapid Response à un rôle important à jouer, en proposant un soutien à ces institutions par le biais de notre vivier d'experts dans des domaines très variés.
Quelle question auriez-vous aimé que l'on vous pose? |
L’action de Justice Rapid Response est par définition hautement sensible ; comment faites-vous pour travailler de manière sûre et impartiale?
Pour garantir la sécurité, la cohérence et l’impartialité de notre travail, chaque fois qu'un partenaire nous contacte en vue d’obtenir notre aide, nous analysons la demande afin de déterminer si elle est conforme au droit international, sans motivation politique, et que la sécurité des experts, des victimes et des témoins peut être assurée. Si la réponse est positive, nous sélectionnons les experts avec les compétences techniques, linguistiques et culturelles nécessaires selon le contexte de l'enquête. Après la validation de notre proposition par le partenaire, nous mettons à disposition l'expert, qui rapportera directement au partenaire, et non à Justice Rapid Response. Ainsi, nous assurons que les pires crimes de l'humanité sont documentés de manière professionnelle, impartiale et rapide, ce qui est essentiel pour assurer la crédibilité du processus de justice.