L'interview | Simon Zadek
Comment présenteriez-vous votre organisation en quelques mots ? En quoi consiste votre fonction? Quel est votre objectif? |
La nature est tout – la finance, c'est tout le reste. Le réel défi est de promouvoir l'innovation radicale au croisement de la nature et de la finance. C'est la raison d'être de NatureFinance. Notre mission consiste à encourager le secteur financier à avoir un impact positif sur la nature et à favoriser une distribution plus équitable des bénéfices économiques. Pour combattre le changement climatique et inverser l'état critique dans lequel se trouve notre environnement naturel, il faut repenser la relation entre finance et nature.
C'est là une occasion unique – et nécessaire – de repenser le fonctionnement des entreprises, de l'économie et des marchés afin de dynamiser la transition à un système équitable, favorable à la nature et énergétiquement neutre. NatureFinance place la nature au cœur de la finance, du marché de la dette souveraine au financement des start-up en passant par les indicateurs de risque, la transition alimentaire et la lutte contre le blanchiment de capitaux. Nous sommes convaincus qu'il est possible d'atteindre cet objectif en mobilisant les expertises et les connaissances techniques, commerciales et politiques, où qu'elles se trouvent.
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L’ambition de NatureFinance dépasse de loin la petite équipe que nous mettons actuellement sur pied. Notre action passera principalement par des partenariats, y compris des partenariats dans lesquels NatureFinance jouera un rôle secondaire. Notre but est de lancer des initiatives tels que Sustainability-Linked Sovereign Debt Hub et la Taskforce on Nature Markets, que nous avons créés en partenariat avec des acteurs des domaines concernés, et éventuellement de les commercialiser. Tout récemment, nous avons annoncé la création du Nature Investor Circle, en collaboration avec le groupe LandBanking, Planet A et Pale Blue Dot, pour soutenir les investisseurs dans des startups actives dans le domaine environnemental. En partenariat avec SEED et le laboratoire du Dr Crowther à l'EPFZ, nous avons également lancé le Biodiversity Index Partnership, qui vise à concevoir, développer et mettre à disposition des marchés financiers un indice de biodiversité robuste, durable et financièrement viable.
Nous souhaitons collaborer avec tous les acteurs du secteur financier – banques, investisseurs et innovateurs – pour favoriser le développement des investissements « pro-nature ». Par exemple, nous travaillons avec des leaders de peuples autochtones engagés sur le terrain pour la protection de la nature, des chercheurs spécialisés dans ces domaines, ainsi qu'un vaste réseau d'acteurs qui œuvrent pour la protection de la nature. Nous envisageons une première série de collaborations principalement à l’échelle suisse. Nous voulons également mettre en lien des institutions genevoises (et suisses) avec des acteurs ailleurs dans le monde, en particulier dans les pays en développement et émergents. Nous sommes convaincus que la collaboration en réseau est un catalyseur du changement.
Quelles sont les forces et les faiblesses de Genève en ce qui concerne le développement de votre activité? |
Genève dispose de nombreux atouts uniques au monde. C'est un pôle mondial en matière d'investissement responsable et de microfinance, mais aussi un important centre financier pour la gestion privée, ce qui présente des opportunités de collaboration avec des personnes fortunées ou des family offices concernés par la destruction de la nature. C’est également l'un des principaux centres mondiaux en matière de coopération internationale, la capitale technique et opérationnelle de l'ONU pour la mise en œuvre des ODD. Par ailleurs, plusieurs grandes organisations de protection de la nature, ainsi que des réseaux d'entreprises qui s'engagent pour le développement durable, ont leur siège à Genève. Au niveau suisse, l'écosystème au sens large comprend des universités et des centres de recherche spécialisés en finance durable. Tout cela fait de Genève un centre d'excellence mondial dans le domaine du financement de la protection de la nature.
La question est de savoir comment mobiliser ces atouts pour répondre aux défis actuels, et si l'urgence et le potentiel suffisent pour faire évoluer la pensée dominante et surmonter la peur du risque.
A quoi devrait ressembler la gouvernance mondiale dans 20 à 30 ans? |
La nature est le moteur de l'économie mondiale et ses 95'000 milliards de dollars de PIB, mais elle fait face à une destruction d’une ampleur sans précédent, ce qui entrave les efforts mis en œuvre pour atteindre les objectifs climatiques. Il faut aligner la finance mondiale avec l'idéal d'une nature saine et régénérée, et cela a des conséquences pour les règles et les normes ainsi que la gouvernance au niveau local, national et international.
Les décideurs politiques, les législateurs et les instances de régulation commencent à peine à saisir les réels enjeux pour le système financier et pour l'autonomie des organismes juridictionnels de cette méta-dépendance à la nature. Sa protection doit être intégrée dans la définition et la mesure de la performance économique. Il est nécessaire de créer des règles efficaces pour prévenir les crimes contre la nature, ainsi que des instances chargées de prévenir et détecter toute tentative de détourner ces règles.
La nature n'ayant pas de frontières, sa destruction a des conséquences économiques, sociales et physiques d’envergure transnationale. Des entités transjuridictionnelles ou internationales, et, le cas échéant des procédures qui permettent de mesurer, sanctionner ou récompenser les organisations sur la base de leur impact sur la nature sont donc nécessaires.
Heureusement, les choses sont en train de bouger. La protection de la nature est en train d’être intégrées à la réglementation financière, et de nombreuses nouvelles règles voient le jour dans le domaine des échanges, de l'investissement ou du blanchiment d'argent. L'exigence de diligence en matière de déforestation dans les chaînes d'approvisionnement devient mondiale, tout comme les obligations de divulgation.
Le progrès est en marche, mais c'est encore trop peu, et parfois trop tard. La vitesse de mise en œuvre à grande échelle constitue le principal enjeu, et pour cela il faut booster l'innovation dans le domaine de l'entreprise et de la gouvernance, au moyen de projets ou d'initiatives uni- ou plurilatérales plutôt que par la voie plus classique, mais souvent complexe et lourde, des accords multilatéraux. C'est dans le domaine de la gouvernance qu'il faudra innover en priorité dans les années à venir.
Quelle question auriez-vous aimé que l'on vous pose? |
Je n'aime pas quand on me demande si je suis optimiste ou pessimiste. L'optimisme est une décision stratégique qui nous pousse à nous lever le matin et à agir. On accuse souvent de pessimistes les personnes qui montrent la réalité telle qu'elle est. J'essaie d'être aussi honnête que possible avec moi-même et avec autrui, car ce n'est qu'ainsi que l'on peut agir de manière ciblée pour faire la différence.
La question serait donc peut-être : êtes-vous honnête ?
Que l'on se fasse du souci face à l'état actuel du monde est compréhensible. Les plus anxieux sont les jeunes, comme ma fille de 18 ans. C'est une personne exceptionnelle qui veut vivre une vie extraordinaire, mais elle a peur que les erreurs des générations précédentes, surtout celles des « baby boomers », aient rendu tout avenir impossible.
J’aimerais plutôt qu'on se pose la question suivante : jusqu'où sommes-nous prêts à aller pour garantir un avenir pour ma fille et des milliards de jeunes comme elle ?