Une semaine avec Scott Weber, Directeur général d'Interpeace | Septembre 2014
Passez une semaine avec Scott Weber, le Directeur général d'Interpeace, et découvrez leur travail, leur impact, leurs priorités ainsi que les défis qu'ils doivent relever au jour le jour afin de construire une paix durable dans des zones ravagées par les conflits.
23 septembre 2014
Scott Weber est le Directeur général d'Interpeace, une des principales organisations mondiales de consolidation de la paix. Basée à Genève, Interpeace a été créée par les Nations Unies en 1994 afin de développer des solutions innovantes pour résoudre les conflits et construire la paix. Aujourd'hui, Interpeace soutient des initiatives de consolidation de la paix dans plus de 20 pays et régions en Amérique centrale, en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie.
Durant toute cette semaine, Scott Weber répond à nos questions et nous parle de son parcours, de son organisation, de ses priorités, des défis auxquels lui-même et ses collaborateurs doivent faire face, de leur travail sur le terrain ainsi que de leurs réalisations.
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Lundi: Une approche innovante qui a fait ses preuvesInterpeace intervient dans 21 différentes zones de conflit, qui sont souvent parmis les plus dangereuses au monde. Aujourd'hui, Scott Weber nous parle de l'approche d'Interpeace, unique en son genre, qui permet de construire une paix durable dans ces différents contextes. |
Quelles sont les principales caractéristiques d'Interpeace ?
Interpeace a été créée par les Nations Unies il y a 20 ans afin de développer des méthodes innovantes de résolutions de conflits. Nous avons en effet constaté que la paix ne peut pas être imposée ou importée de l'extérieur. Elle doit être construite depuis l'intérieur, au sein même de la société. L'approche unique d'Interpeace garantit que le processus de consolidation de la paix soit une initiative pilotée au niveau national qui implique la société dans son ensemble, pas seulement ceux qui portent les armes. C'est cette large adhésion qui constitue les fondements d'une paix durable.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment?
Nous intervenons dans 21 différentes zones de conflit. Laissez-moi vous donner un exemple de notre travail en Afrique centrale.
La région des Grands Lacs en Afrique a connu les formes les plus brutales de conflits, du génocide au Rwanda en 1994 et des épisodes récurrents de violence post-électorale au Burundi à la guerre régionale sur le territoire de la République démocratique du Congo (RDC), qui a fait des millions de victimes et a laissé la région Est du pays à la merci de groupes armés itinérants. L'instabilité dans la région ne peut pas être résolue par l'un de ces pays de manière isolée. Ils doivent travailler ensemble au plus haut niveau, mais aussi, et c'est peut-être encore plus important, au niveau communautaire, où la méfiance entre les pays représente le plus grand obstacle à la paix.
Interpeace et ses partenaires locaux dans la région travaillent afin de soutenir les efforts de construction de la paix dans chacun de ces trois pays, mais aussi afin d'enrayer la dynamique régionale de l'instabilité.
L'une des plus grandes difficultés de la consolidation de la paix consiste à faire en sorte que des saboteurs potentiels participent à la solution. Personne ne veut être forcé de changer et, la plupart du temps, on résiste à une telle pression. Nous faisons donc en sorte de traiter chaque personne avec dignité et de développer des rapports de confiance avec ceux qui sont considérés comme de potentiels saboteurs. Cela nous permet de les aider à voir le conflit dans tous ses aspects et à prendre eux-mêmes l'initiative de changer. Dans le processus de consolidation de la paix, la connaissance est un vecteur de renforcement et de transformation. Elle rend la paix possible.
Mardi: Donner la priorité à une paix construite de l'intérieurAujourd'hui, Scott Weber nous parle de ses priorités pour Interpeace ainsi que de son parcours qui l'a mené à la tête de cette organisation. |
Quelles sont vos priorités en tant que Directeur général d'Interpeace?
Notre première priorité consiste à aider les pays à trouver leurs propres solutions aux conflits qui les déchirent. La paix ne peux pas être importée, ni imposée depuis l'extérieur. Elle doit venir de l'intérieur. Pour ce faire, nous commençons par identifier des individus à qui tout le monde peut faire confiance. Nous leur donnons les outils nécessaires afin qu'ils puissent devenir des facilitateurs d'un processus national qui implique toutes les sphères et toutes les régions d'un pays, du Président aux villageois en passant par la diaspora, et ce afin d'identifier et résoudre les principaux obstacles à la paix. Cela peut prendre des mois, voire des années. L'essentiel, c'est que le processus de résolution de ces conflits soit accepté par tous.
Notre deuxième priorité, c'est d'aider la communauté internationale à améliorer son soutien envers la consolidation de la paix. Nous faisons tous des analyses de conflits afin d'identifier les problèmes et élaborer des solutions. Le problème, c'est que très souvent nous sommes confrontés à un conflit d'analyses. La manière dont la population locale comprend le conflit qui la divise et la manière dont la communauté internationale perçoit le problème peuvent être deux choses très différentes. A défaut d'une analyse correcte, la recherche de solutions peut conduire vers un faux chemin, qui peut parfois s'avérer dangereux. La meilleure façon d'éviter ces erreurs, c'est de s'assurer que l'analyse est faite par les acteurs locaux et ce de la manière la plus participative possible. Toutes les voix doivent être prises en considération. Dans la plupart des cas, la communauté internationale ne devrait pas diriger les efforts de consolidation de la paix, mais plutôt soutenir les processus de consolidation de la paix à l'échelle nationale.
Qu'est-ce qui vous a amené à Interpeace?
Lorsque j'ai débuté ma carrière au sein des Nations Unies en 1997, c'était une période passionnante de changement et d'innovation. Le domaine de la consolidation de la paix était encore très jeune, mais il gagnait en professionnalisme et en expérience. Progressivement, j'ai senti que je voulais être proche de la source des problèmes que nous traitions au niveau mondial et mieux comprendre la dynamique de la paix et des conflits. J'ai trouvé qu'Interpeace (appelée à l'époque Projet de reconstruction des sociétés déchirées par la guerre) était la section la plus innovante de l'ONU, car elle était ancrée dans la réalité du terrain et amenait les acteurs locaux à prendre les rênes des processus de paix. Elle essayait aussi de faire intervenir sur le terrain des structures hybrides ONU-ONG au nom de l'ONU ou, lorsque c'était nécessaire, en tant qu'ONG. Cela s'est révélé être une grande force stratégique pour Interpeace au cours des années. Aussi, en l'an 2000, j'ai convaincu le Directeur exécutif de l'époque, qui en était aussi le fondateur, de m'engager ; cela a été, depuis, une magnifique aventure.
Mercredi: Un réel impact sur le terrain et à l'internationalAujourd'hui, Scott Weber revient sur quelques-unes de leurs réalisations à ce jour, aussi bien au niveau local que global. |
Interpeace fête son 20ème anniversaire cette année. Qu'avez-vous accompli jusqu'à présent sur le terrain?
Nous travaillons par exemple en Somalie depuis 1996, et avons fait d'importants progrès en aidant les Somaliens à trouver des solutions à leurs différences ainsi qu'à renforcer le processus d'édification de l'Etat au Somaliland, au Puntland, et, plus récemment, au centre-sud de la Somalie. Nous avons soutenu les Somaliens dans certains de leurs efforts cruciaux de démocratisation ces dernières années, comme les élections parlementaires et présidentielles au Somaliland. Les élections présidentielles représentent la première transition démocratique de pouvoir dans l'histoire de la Corne de l'Afrique.
Récemment, nous avons accompli un travail important sur la question de la piraterie au large des côtes somaliennes. Les pirates ont détourné plus de 60 navires rien qu'en 2010 et la piraterie est devenue une affaire lucrative pour les réseaux criminels en Somalie. La réponse internationale a été importante, même si, de manière surprenante, 99,4% des 6.1 milliards de dollars dépensés dans la campagne anti-piraterie ont été consacrés à la protection des navires. La majorité de cette somme astronomique a été dépensée pour couvrir les frais de plus en plus élevés de carburant, nécessaire pour établir des routes de navigation alternatives ou opérer les navires à des vitesses plus élevées dans l'espoir d'échapper aux pirates. Seulement 0,6% des fonds ont été dépensés pour traiter le vrai problème. La piraterie est un problème sur terre, pas en mer. La vraie question qui aurait dû être traitée, c'était tout d'abord la raison pour laquelle ces jeunes hommes prenaient le large sur des bateaux, lourdement armés.
Notre contribution à l'effort contre la piraterie a donc consisté à impliquer les villages de la côte somalienne en les instruisant sur le phénomène de la piraterie à travers des documentaires vidéo et des discussions avec les communautés et les anciens. Ils ont vite compris que la piraterie était en train de tuer leurs jeunes hommes et allait à l'encontre de leurs intérêts économiques à moyen et à long terme. Ce processus éducationnel a aidé les communautés à arriver elles-mêmes à la conclusion qu'il n'était pas dans leur intérêt de continuer à soutenir la piraterie. Cela a sans doute contribué à la chute drastique de la piraterie depuis lors, avec seulement 4 détournements enregistrés l'année dernière.
Nous avons également accompli un énorme travail sur la rédaction de constitutions, ce qui a été une priorité pour nous, car dans plusieurs pays où nous travaillons la source du conflit remonte à la manière dont l'Etat a été formé, en premier lieu. La légitimité du processus de rédaction d'une constitution est ce qui confère la légitimité à cette dernière. Nous avons donc cherché à savoir s'il existait des manuels visant à guider les sociétés à travers le processus de rédaction d'une constitution de façon à lui conférer la plus grande légitimité. Ayant réalisé qu'il n'existait que très peu d'assistance disponible, nous avons réuni durant quatre ans les principaux experts mondiaux afin de rédiger un manuel sur la mise en place de ce processus, mentionnant les différents défis rencontrés en chemin. Ce manuel a été distribué à tous les parlements du monde grâce à un partenariat avec l'Union interparlementaire. Les Nations Unies l'ont adopté comme l'un des principaux outils d'aide aux pays pour la mise en place d'un processus de rédaction d'une constitution.
Et au niveau multilatéral?
Au niveau multilatéral, nous nous efforçons de changer la manière dont le monde comprend la question de la résilience. La résilience est un concept important dans le cadre de notre travail car elle met l'accent sur la capacité d'une société à gérer les chocs internes et externes. Nous valorisons davantage l'analyse des communautés locales que la perception externe de la question. Nous aidons les sociétés à établir leur propre mesure de fragilité plutôt que de dépendre d'un cadre établi à l'extérieur du pays. De plus, alors que notre index analyse la fragilité des sociétés, il met également en avant les sources positives de résilience.
Jeudi - 20 ans à travailler pour la paix depuis GenèveInterpeace souffle 20 bougies cette année. Aujourd'hui, Scott Weber nous parle de cet anniversaire, des événements organisés à cette occasion ainsi que de l'importance, pour Interpeace, d'être basée à Genève. |
Organisez-vous des évènements à Genève ou à l'étranger pour fêter votre 20ème anniversaire?
Nous avons organisé des activités à travers le monde pour fêter notre anniversaire le 21 septembre, Journée internationale de la Paix. A Genève, nous avons aussi participé à l'organisation d'un évènement phare, les Geneva Peace Talks (Les pourparlers de Genève pour la paix). Cet évènement s'est déroulé le 19 septembre au Palais des Nations et a fait l'objet d'un enregistrement vidéo. Les vidéos des Peace Talks individuels seront disponibles sur le site internet de l'évènement.
Il s'agit d'une initiative passionnante que nous avons mise en place l'année dernière en partenariat avec l'Office des Nations Unies à Genève et la Plateforme de Genève pour la consolidation de la paix (Geneva Peacebuilding Platform). Il s'agit de faire partager l'expérience des intervenants sous la forme d'un bref récit sur un sujet en rapport avec la paix. Cette année, la plateforme avait pour thème « Parlons de la paix ! ».
Nous organiserons également des Peace Talks dans plusieurs régions et avons des évènements planifiés à Abidjan, à Nairobi et à Stockholm. Nous donnerons à ces évènements une couleur locale en fonction des différentes régions, en impliquant des intervenants actifs dans des processus régionaux de consolidation de la paix.
Est-il important pour Interpeace d'être à Genève?
Oui. Tout d'abord parce que l'identité Suisse est respectée et considérée comme relativement neutre, ce qui est important vu la nature de notre travail. Nous collaborons étroitement avec le gouvernement suisse et avec sa section Sécurité humaine / Politique de la paix. Ensuite, Genève est une interface mondiale qui relie une série de communautés différentes qui vont des institutions mondiales aux petites ONG. Cela rend Genève plus connectée au terrain que d'autres villes telles que New York. Le fait d'être à Genève nous offre une plateforme unique non seulement en termes d'apprentissage et de connectivité, mais aussi d'influence sur les différents secteurs et organisations qui ont un impact sur les pays en situation de conflit.
Vendredi - Répondre aux principaux défis liés à la consolidation de la paixComment faire en sorte qu'une paix négociée soit durable et ne capote pas après quelques années? Comment garantir un financement adéquat à un processus de paix qui peut prendre, parfois, des années? Aujourd'hui, Scott Weber nous parle des principaux défis liés à la consolidation de la paix et de l'approche d'Interpeace pour les relever. |
Quels sont selon vous les trois principaux défis liés à la consolidation de la paix aujourd'hui?
L'une des principales difficultés, c'est que le monde croit encore que vous ne faites la paix qu'avec vos amis. C'est un leurre, et cela explique pourquoi plusieurs processus de paix capotent après quelques années. Le processus de paix doit être inclusif, ce qui signifie impliquer toutes les parties, y compris les saboteurs.
Le mode de financement des efforts de paix est une autre difficulté. L'accent est mis de manière excessive sur la partie matérielle, visible et coûteuse de la reconstruction suite à un conflit, à savoir les forces de maintien de la paix, le développement des infrastructures, le renforcement des capacités institutionnelles, ou la formation dans le secteur de la sécurité. Ces domaines peuvent être importants, mais l'accent n'est pas suffisamment mis sur le volet immatériel qui rend la paix durable : la confiance entre les groupes et entre la population et les autorités, l'amélioration des relations inter-ethniques, la gestion des griefs historiques, etc. On peut dépenser des millions pour reconstruire un pays et le voir s'effondrer encore une fois quelques années plus tard, rendant nul tout cet investissement. Comme le montrent les récents exemples du Sud-Soudan et de la République Centrafricaine, ce sont les éléments intangibles qui font toute la différence. La confiance est au cœur du défi de la consolidation de la paix. Et il faut plusieurs années pour bâtir une paix durable. Alors, ce que nous devons faire, c'est calibrer nos mécanismes de financement afin de refléter ce que nous avons appris sur les besoins en matière de consolidation de la paix. Nous avons besoin de mécanismes de financement flexibles et sur le long-terme qui favorisent les acteurs locaux et qui mettent l'accent autant sur les points chauds actuels que sur les situations oubliées ou de pré-conflit. Etant donné que la plupart des conflits actuels ont leurs racines dans des embrasements ou dans des processus d'édification de l'Etat mal gérés, le fait de se concentrer sur une meilleure assistance suite au conflit mais aussi sur un développement inclusif et une bonne gouvernance pourrait s'avérer un moyen efficace de prévenir des conflits futurs. Nous devons également impliquer le secteur des affaires dans le travail avec les gouvernements et la société civile pour trouver de nouveaux modèles capables de soutenir les efforts en vue de stabiliser les sociétés sur le long-terme.
Le manque d'attention accordé à la jeunesse est un autre obstacle. Nous n'avons pas trouvé de systèmes de gouvernance qui donne aux jeunes un sentiment d'appartenir à la société. Les jeunes sont les premières victimes et auteurs de violences. Et pourtant, ils ne participent pas aux négociations et les dirigeants ne les écoutent pas vraiment. A notre sens, les jeunes ont un rôle essentiel à jouer dans la consolidation d'un avenir pacifique pour eux-mêmes et leurs sociétés. Mais pour cela, nous devons les impliquer en tant que véritables partenaires.
Quelle est la position d'Interpeace sur les tensions qui peuvent émerger entre, d'une part, la justice et, de l'autre, la consolidation de la paix?
Nous ne remettons pas en question l'importance de la justice dans une paix durable. Cependant, par prudence, nous apportons une nuance quant à la question du quand et du comment. La plupart d'entre nous souhaitent vivre dans une société où la justice est une composante du fondement de la paix, où règne l'état de droit et une culture de la justice. Mais comment passer d'une société fragile et blessée à une société basée sur l'état de droit est, selon nous, une question que chaque pays doit définir de manière individuelle. L'aide extérieure est essentielle pour accompagner les pays dans leur lutte pour gérer les injustices passées et bâtir des nouvelles bases pour l'avenir.
Notre contribution à ce processus consiste à aider à s'assurer que chemin choisi n'a pas été décidé uniquement par les parties au conflit mais inclut également les victimes. C'est la raison pour laquelle nous soutenons souvent les processus de dialogue à l'échelle nationale comme point de départ pour s'assurer qu'autant de voix possibles soient entendues et puissent définir les étapes à franchir par le pays vers la paix et la justice.