L'interview | Pierre Krähenbühl
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Lorsque nous voyons les images des libérations et des transferts de détenus au Yémen, d’otages et de personnes détenues en Israël et dans les Territoires Occupés, nous savons que ces opérations extrêmement complexes et délicates ne sont possibles que grâce au mandat et au rôle unique d’intermédiaire neutre du Comité International de la Croix Rouge (CICR). Nous savons aussi ce qu’elles représentent pour ces personnes et leurs familles. C’est dans ces situations – et bien d’autres encore – que je ressens le plus de fierté pour notre organisation : lorsque nos équipes sont au plus près des populations touchées par les conflits armés et la violence, lorsqu’elles s’entretiennent avec des responsables de groupes armés dans des régions reculées pour mener des conversations compliquées sur le besoin de respecter le droit international humanitaire (DIH) et de mieux protéger les populations civiles. Chacune des personnes travaillant pour le CICR à travers le monde doit pouvoir s’identifier à ce sentiment de fierté car c’est toujours le résultat d’un effort collectif fort auquel nous contribuons toutes et tous.
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Il y a avant tout l’immensité des besoins humanitaires auxquels nous faisons face et l’indignation face à l’horreur de la guerre. Ces besoins ne cessent de croître : tandis que de nouveaux conflits émergent, ceux qui durent depuis des années restent sans solution politique. Et c’est justement là que se trouve un autre défi majeur : le manque d’appétit et de courage politique pour prévenir et résoudre les conflits d’aujourd’hui.
![]() | Parmi la concentration d'acteurs basés à Genève (OI, ONG, missions permanentes, milieux académiques, secteur privé ou autres), avec qui travaillez-vous et comment? |
Nous travaillons de près avec tous les types d’acteurs que vous mentionnez, et ce dans différents domaines. Il y a évidemment le dialogue avec les États, notamment via leurs missions permanentes, sur leurs obligations en matière de DIH, par exemple. Présents sur le terrain dans plus de 90 pays à travers le monde, nous partageons également notre expérience opérationnelle avec la communauté diplomatique.
Nous interagissons constamment avec des organisations internationales, non-gouvernementales ainsi que les milieux académiques sur de nombreuses thématiques, que ce soient des questions liées aux débats contemporains sur le droit humanitaire, les défis auxquels font face certaines populations vulnérables, ou encore sur les conséquences que la digitalisation des conflits armés sur les personnes touchées. Ces interactions que nous avons à Genève complètent celles que nos équipes mènent sur le terrain.
Il y a évidemment aussi l’aspect du financement d’une organisation comme le CICR qui dépend très largement des contributions d’États, mais qui bénéfice également du soutien de donateurs privés et de fondations, notamment à Genève. Sans eux, nous ne pourrions pas assurer notre mission de protection et d’assistance aux personnes touchées par les conflits armés et la violence.
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Genève est unique par son exceptionnelle diversité, qui fait sa richesse aussi bien pour le CICR que pour les personnes qui y vivent où y transitent. Les organisations comme la nôtre y bénéficient de la proximité de nombreux acteurs humanitaires, ce qui facilite la création de réseaux, l’identification de synergies et une meilleure réponse aux besoins des populations.
La force de Genève réside dans la multiplicité des voix et des perspectives qui s’y croisent. Pour en tirer pleinement parti, les organisations qui y sont basées doivent non seulement écouter et intégrer ces diverses perspectives, mais aussi rester connectées en permanence au terrain et aux réalités du monde. C’est en entretenant ces liens essentiels qu’elles peuvent adapter leurs actions et répondre efficacement à des besoins en constante évolution.
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Récemment, notre travail humanitaire à Goma, mais aussi en Ukraine, au Myanmar, en Somalie et dans tant d'autres contextes, m'a profondément inspiré. Ces situations illustrent la valeur de notre organisation lorsqu’il s’agit d’apporter une aide vitale aux populations dans leurs moments les plus difficiles.
Une autre source d’inspiration a été la 34ème Conférence Internationale du Mouvement de la Croix Rouge et du Croissant Rouge qui s’est tenue en octobre dernier. A cette occasion, une centaine de sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que des représentants d’autant d’États, se sont réunies à Genève aux côtés de la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et Croissant-Rouge et du CICR. Cette conférence m’a marqué par le message puissant qu’elle a rappelé au monde : le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge demeure l’un des rares bastions où le multilatéralisme et le respect des différences d’opinions subsistent, où les principes d’impartialité de neutralité et d’humanité ne sont pas seulement professés, mais véritablement mis en pratique au quotidien. Toutes les résolutions ont été adoptées par consensus par les membres de la conférence. Ceci a envoyé un message fort : cessons de nous concentrer sur ce qui nous sépare et concentrons-nous plutôt à trouver des points de convergence.
Dans ce même esprit, en septembre dernier, le CICR, par le biais de notre Présidente, a lancé une initiative mondiale sur le droit international humanitaire (DIH) en partenariat avec six États : l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, la France, la Jordanie et le Kazakhstan. Cette initiative vise à (re)mobiliser la communauté internationale autour de la nécessité urgente de défendre le principe d’humanité, même en temps de guerre. Depuis son lancement, elle suscite un intérêt croissant et bénéficie d’un large soutien d’un grand nombre d’États à travers le monde. Cela ne peut que nous encourager à poursuivre nos efforts pour renforcer la protection de celles et ceux qui souffrent des conséquences des conflits armés.