L'interview | Tiffany Easthom
Comment présenteriez-vous votre organisation en quelques mots ? En quoi consiste votre fonction? Quel est votre objectif? |
J'ai l'immense honneur d'être directrice générale de Nonviolent Peaceforce. Notre mission consiste à protéger les populations lors de conflits, en promouvant la protection civile non-armée (unarmed civilian protection - UCP, en anglais), la consolidation de la paix en collaboration avec les populations locales et l'adoption d’approches qui permettent de préserver la dignité des personnes et de sauver des vies. La non-violence est le fondement de notre méthodologie, qui met l'accent sur la personne et les relations humaines. Nous nous engageons de manière créative auprès des populations en situation de crise pour développer des activités contre la violence, en parallèle avec une action à plus long terme. Nous priorisons des réponses pratiques aux menaces immédiates, tout en luttant contre la violence structurelle. Nous essayons de créer un environnement qui permet aux communautés de riposter aux violences physiques de manière non-violente. Nous sommes au service des personnes que nous cherchons à protéger. Notre indépendance de toute organisation internationale, État ou parti politique nous permet de rassembler les personnes même dans des situations très hostiles.
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Nous apprécions particulièrement la possibilité que nous offre Genève de collaborer sur diverses initiatives politiques et de terrain avec des réseaux comme la Plateforme de Genève pour la consolidation de la paix (Geneva Peacebuilding Platform ou le Global Protection Cluster, et avec de nombreuses ONG actives dans la protection des populations civiles. Cela nous permet de mutualiser nos efforts et de contribuer ensemble à un monde plus pacifié. Nous avons aussi de nombreuses possibilités de collaboration avec des missions permanentes sur des thèmes ou des priorités régionales. Par exemple, le 25 octobre prochain, nous organisons avec la Mission permanente du Royaume des Pays-Bas un événement dans le cadre de la Semaine thématique annuelle de Global Protection Cluster, intitulé « Une approche innovante de l’accès fondée sur la relation ». Nous avons aussi eu le plaisir d’organiser plusieurs événements en partenariat avec l'Université de Genève et le Graduate Institute et à accueillir des stagiaires formidables issus de ces deux institutions.
Quelles sont les forces et les faiblesses de Genève en ce qui concerne le développement de votre activité? |
Genève est une ville unique au monde de par son rôle de centre névralgique de la société civile internationale et son engagement en faveur de l'action humanitaire, de la consolidation de la paix et des droits de l'homme. Cet écosystème constitué de réseaux multiples favorise l'émergence d'idées et de pratiques innovantes. Le seul bémol, c'est que l’on fonctionne un peu dans une bulle, loin des personnes les plus touchées par la violence et de leur expérience quotidienne.
A quoi devrait ressembler la gouvernance mondiale dans 20 à 30 ans? |
Au cours de la prochaine génération, j'espère que nous parviendrons à réinventer la gouvernance mondiale afin de remplacer les relations de pouvoir asymétriques – qui normalisent la violence et favorisent la précarité et une vision du monde mécaniste – par une vision du monde plus intégrative. On ne peut plus se dire qu'une structure est inclusive du moment qu'on y a « ajouté » la personne, alors que c’est la structure entière qui doit s'adapter.
Quelle question auriez-vous aimé que l'on vous pose? |
J'aime beaucoup quand on me demande pourquoi je suis restée si longtemps chez NP – depuis 13 ans déjà ! J'ai rejoint NP en tant que directrice de pays à une époque où l’organisation était beaucoup plus petite. Nous avions très peu de moyens, nous étions peu connus, et notre méthodologie était encore en cours de développement. Nous avons pu attirer des personnes extraordinaires grâce à la qualité de notre travail. Nos collègues viennent d'horizons et de parcours très différents, mais ils partagent la même volonté de faire évoluer les normes autour de l’instrumentalisation de la violence ou des menaces de violence. Pour y parvenir, il faut commencer par soi, en analysant l'usage que l'on fait de son propre pouvoir et de ses privilèges au quotidien, en apprenant à supporter un certain niveau de tension créative et constructive sur des questions telle que l'équilibre à trouver entre opposition à violence et empathie pour les personnes qui la manient, la guérison, la rédemption et la responsabilité, et en créant de la place pour le sérieux tout en se ménageant des moments de joie. Nous cultivons l'humilité : nous pouvons être fiers de nos succès, mais nous sommes conscients que notre contribution reste modeste au vu des situations complexes où nous intervenons. Toutefois, nous jouons un rôle important par le simple d’offrir du soutien, de la solidarité aux personnes les plus impactées par la violence.